CATHIE SILVESTRE
À la rencontre de Max Wechsler
Rencontre avec un peintre qui a mis au centre de son travail, la lettre dans tous ses états, et qui crée des « papiers marouflés » dont il nous dit « le papier est ma couleur, mes mains sont les pinceaux ».
Un peintre ? un plasticien ? la lettre paraît inséparable du papier sur lequel elle a vécu une première vie, offerte au sens, à la lecture, à la rationalité du raisonneur, au rêve du poète, à l’information du public, à la transcription sacrée, au roman de gare… la lettre, les lettres jamais envoyées, ou bien envoyées et jamais reçues, offertes aux nuages et au vent.
Max Wechsler prend la lettre et son support éphémère, fragile, malaxe le papier, le mélange à une colle forte dite maroufle, déchire, découpe, superpose, agrandit, floute : il est le maroufle lui-même vis à vis de la lettre, le vaurien qui s’en empare, mais pour la servir et peut-être l’asservir à son dessein. Sous ses « doigts pinceaux » 1 , la lettre latine sort de ses habits premiers et vogue vers des destins divers, trait d’union entre toutes les langues, elle se laisse étirer et déformer jusqu’à la disparition, elle frôle et se mêle à d’autres lettres, cyrilliques, hébraïques, arabes, délestée de son poids phonétique, sémiotique, elle danse et scande le silence, l’absence, mais aussi la montée fragile et persévérante d’une suite à venir… (…)
Passeur, s’inscrivant dans un temps indéfini, dans un espace quasi universel, par le choix de matériaux simples, fuyant la surenchère du récit, du témoignage, de la souffrance : c’est au regard du passant qu’il confie la reconstruction vivante, émotive, teintée plus que colorée, de ce monde perdu qu’il fait survivre avec discrétion, comme éclairé d’une lumière cendrée… (…)
Pour qui regarde et se laisse regarder par ces grands panneaux, dressés tels « la figure humaine », la lumière vient de la surface lisse, parfois vernissée, que l’on appréhende comme ductile, tactile et qui conduit et guide le regard vers la profondeur grisée, plus sombre et austère… (…)
La matière apparaît par les superpositions qui dessinent aspérité, bosselage, voûssure, rupture, et font entrevoir un arrière-plan où la confusion, profusion des lettres, semblent nous parvenir d’un espace lointain, rêverie, énigme, rigueur mêlés.
On peut attribuer à ces objets picturaux, la compacité, la dureté, la présence intangible de ce qui serait support d’une loi antique. Alors même que la projection singulière du regard de chacun peut trouver place et tracer sa propre route incertaine, engager un dialogue rêvé à la jonction des histoires plurielles et du monde commun…
Cathie Silvestre, psychanalyste - Revue Esquisse(s) N°5, Le Félin.