ANNE MARIE BONNET
Entre les frontières
Max Wechsler, entre les frontières
Être entre les frontières est peut-être l’un des concepts-clés qui permettent une approche de l’œuvre de Max Wechsler : entre dessiner et peindre, entre le crayon et le pinceau, le texte et l’image, le signe et le sens, le dessin et la désignation, le papier et la toile, la lumière et l’ombre, la parole et le silence, la lisibilité et la visibilité, le familier et l’étrange, l’intuition et le savoir, la perception et la reconnaissance, le mur et l’espace. Peintre utilisant à l’origine les matériaux „classiques „ de la peinture Max Wechsler a traversé plusieurs phases d’abandon, de renoncement et de recommencement dans un processus de mues successives où il se dégageait, se dépouillait des anciennes possibilités d’expression pour s’ouvrir avec les matériaux écriture et papier à de nouvelles dimensions.
Le matériau de Max Wechsler: le papier marouflé.
Max Wechsler travaille avec la technique des papiers marouflés qu’il a développée à partir de 1984. Il applique sur différents supports des morceaux de papier écrits imprimés puis photocopiés qui couche après couche sont appliqués sur la toile.
Il a ainsi créé les grands panneaux installés ici dans l’église Saint Matthäus de Berlin entre les vitraux et dans l’abside.
... Il ne s’agit pas d’un collage “classique“ comme par exemple chez les cubistes. Ces derniers disposaient dans leurs tableaux des coupures de journaux ou des lettres pour introduire dans la réalité du tableau les dimensions du monde réel.
Bien que Max Wechsler utilise le matériau „écrits“ avec sa fonction d’interprétation quotidienne du monde et le matériau „écriture“ comme signe et comme langage, ces aspects disparaissent dans la transformation plastique en cette substance picturale sui generis qui caractérise ses tableaux. La limitation des couleurs sonde toutes les nuances de blanc, de gris et de noir et ouvre un dialogue subtil entre la lumière et l’ombre.
Outre la modulation qui naît des couleurs tempérées, dans la superposition même des couches se dégagent des structures qui rappellent les lignes d’un texte ou d’une partition mais qui se soustraient à la lisibilité. Dans leur composition structurelle, les tableaux de Wechsler font penser non seulement à des peintures informelles mais aussi paradoxalement à des œuvres minimalistes. Les caractères deviennent des signes libres ; le langage qui à l’origine porte son empreinte signifiante, est transcendé et transformé en un code intemporel et supra-individuel.
Le code de l’image et du langage deWechsler
Quand on pense que Wechsler vient de la peinture figurative, qu‘il a sondé dans sa période „surréalisante“ les frontières du rationnel entre figuration et l’abstraction, on est à même d’apprécier son chemin parcouru et ses raisons
profondes.
Quelle que soit la manière dont le surréalisme a été vécu et compris, c’était en tout cas un mouvement qui pour la première fois voulait saisir l’être humain dans sa totalité, c’est-à-dire aussi au-delà du rationnel. Même si Wechsler n’était pas satisfait des moyens picturaux dont il disposait, il est pourtant resté redevable - dans le bon sens du terme – à cet héritage. Magritte par exemple nous a appris à nous méfier de la relation des mots au réel. Le langage possède au-delà de ses dimensions cognitives et sémantiques des caractéristiques psychiques et émotionnelles, Il a une sonorité, une „ température“.
Le matériau plastique et peint de Wechsler est langage dans sa forme écrite qu’il découpe dans ses composants élémentaires : les signes alors se vident de leur fonction usuelle de dénomination, sans que cette dernière ne soit totalement abolie. On reconnaît donc encore qu’il s’agît de mots, de contenus sémantiques, certes transformés mais toujours existants.
Wechsler et le langage
Quand on pense que Wechsler vient de la peinture figurative, qu‘il a sondé dans sa période „surréalisante“ les frontières du rationnel entre figuration et l’abstraction, on est à même d’apprécier son chemin parcouru et ses raisons profondes.
Quelle que soit la manière dont le surréalisme a été vécu et compris, c’était en tout cas un mouvement qui pour la première fois voulait saisir l’être humain dans sa totalité, c’est-à-dire aussi au-delà du rationnel. Même si Wechsler n’était pas satisfait des moyens picturaux dont il disposait, il est pourtant resté redevable - dans le bon sens du terme – à cet héritage. Magritte par exemple nous a appris à nous méfier de la relation des mots au réel. Le langage possède au-delà de ses dimensions cognitives et sémantiques des caractéristiques psychiques et émotionnelles, Il a une sonorité, une „ température“.
Le matériau plastique et peint de Wechsler est langage dans sa forme écrite qu’il découpe dans ses composants élémentaires : les signes alors se vident de leur fonction usuelle de dénomination, sans que cette dernière ne soit totalement abolie. On reconnaît donc encore qu’il s’agît de mots, de contenus sémantiques, certes transformés mais toujours existants.
Wechsler et le langage
Wechsler transforme les caractères habituels en caractères idiosyncratiques, en un code, un langage de l’image qui lui est propre.
Ce procédé n’est pas purement subjectif mais sollicite une validité générale
et même universelle...
Chaque œuvre est un palimpseste de déclarations et d’interprétations du monde et est imbibé de leur contenu.
Les tableaux développent leur propre texture et les dimensions sémantiques et matérielles sont conçues comme jeux de mots. Chez Wechsler, le concept „langage de l’image“ a une qualité que je définis par le concept „code „, pour caractériser le processus de “codage“.
Max Wechsler pense toutes les dimensions, chaque lettre dans sa spécificité
topographique comme élément de conception et porteuse de sens ...
Dans l’utilisation de la Materia prima - la masse des textes écrits sur papier
-
se dégage une structure, des lignes prennent forme : elles rappellent parfois, comme je l’ai déjà dit, des textes ou des partitions, des horizons ou des paysages.
Présence matérielle : texture / facture /structure
La texture a une facture plus ou moins rugueuse.
Intérieurement pleins et gaufrés par l’épaisseur des nombreuses couches internes et chronologiques, les tableaux entrent dans un dialogue intensif avec la luminosité de l’espace du moment. Cette matérialité particulière confère aux tableaux une présence dense.
Quand on pense à tous les fragments de textes utilisés, on peut imaginer et même sentir les voix qui se sont tues. Elles se taisent certes mais sont présentes.
Face aux œuvres, commence alors un discours muet et un dialogue visuel particulier. Ces œuvres transmettent une immense énergie que Max Wechsler sait exactement moduler grâce au format qui est toujours conçu anthropomorphe, soit comme un vis-à-vis vertical pour l’observateur debout, soit dans un format plus petit correspondant à la représentation d’une page de
livre.
Max Wechsler à l’église Saint Matthäus de Berlin
Dans son installation à l’église Saint Matthäus, Max Wechsler a rythmé et articulé l’espace de manière particulière.
Une église est un lieu de rassemblement avec une conception, une structure et une topographie particulière et dont l’accessibilité est progressive.
...Wechsler a suspendu ses panneaux qui entrent en dialogue avec la lumière
et l’espace.
Le grand triptyque au-dessus de l’autel est particulièrement impressionnant Deux panneaux verticaux encadrent au centre un tableau étroit aux rythmes horizontaux dont il se dégage une solennité particulière du fait de leur proportions et de leur réalisation plastique et picturale.
Quand on lui demande quelle signification la création d’un retable a pour lui, athée d’origine juive, il répond, profondément ému :
“ C’est un cadeau ! Une œuvre non religieuse mais sacrée dirait-on enfrançais.“
“Sacré“ est intraduisible en allemand. Cela ne signifie ni „geistig“ ni „sakral“, c’est une qualité spirituelle noble sui generis.
Chaque tableau seul et comme ensemble, dialogue avec l’espace. J’ai pour ma part déjà parlé de leur “ présence dense“ et de leur „silence particulier“ : que taisent-ils?
Un silence sonore ou un langage inaudible?
L’installation dans l’église Saint Mattäus a pour titre “Signe : mémoire d’images“.
Les œuvres sont emplies du souvenir du monde que les lettres, les mots, les phrases, les textes transmettent. Leur contenu n’est plus lisible dans sa forme originelle mais se laisse deviner.
Dans son commentaire de l’œuvre de Max Wechsler „La lumière de l’illisible“, Andreas Haus compare la structure des tableaux à celle des stèles antiques qui portent encore les traces de leurs inscriptions.
L’idée des stèles me plaît et je pense à leur fonction d’être : mémorisation de l’histoire du monde et des anciennes formes de vie.
Collage et fragments existent en art depuis le début du vingtième siècle comme signe du moderne comme une tentative face à l’impossibilité de répondre à la complexité du monde. Pourtant on persiste à évaluer cette complexité. Wechsler découvre dans ses travaux un moyen de transmettre cette complexité. Les pages imprimées et les textes utilisés disparaissent mais ne sont pas perdus. Ils sont „préservés“ et ce dans un double sens paradoxal : dans le sens de „conserver“ et d’“anéantir“.
Dans ses œuvres, Wechsler préserve non seulement l’histoire/les histoires mais aussi son souvenir personnel : la lumière particulière de Berlin dont il parle sans cesse. Une lumière particulière que les œuvres engendrent et dont elles témoignent à la fois.
Que reste-t-il des souvenirs de lecture ? Du vécu ? Le souvenir est-il une construction exacte ? De quoi se souvient-on et comment ? C’est une banalité de dire que le souvenir est subjectif, qu’il déforme, transforme, refoule le passé, qu’il le colore positivement ou négativement.
Depuis l‘époque dite „postmoderne“ et les années quatre-vingt, on sait que chaque histoire est une construction. Tout présent doit retravailler son passé et s’y frayer son propre accès...
Souvenir
Pour Max Wechsler l’exil et la perte de la langue d’origine ont été des expériences fondatrices l’intériorisation du souvenir des lieux de l’enfance et de la langue première ont créé chez lui un profond sentiment de perte. “C’est cette trace que je poursuis, le langage, le mot, la lettre pour reconquérir un passé“
Ses œuvres sont la recherche d‘un langage perdu, du langage comme forme de “être-au-monde“.
Il invente un code visuel esthétique qui transcende le subjectif et le caractère commun de la langue pour créer un langage transculturel, peut-être même universel de la mémoire.
La volonté de préserver le passé, de ne pas oublier mais d’être aussi entendu. Cette perte de la langue maternelle - et interdite un temps d’être parlée - a produit cette sorte de quête à vie d‘un Graal, d’une articulation adéquate d‘un langage possible ou permis, d’une transformation d’après la destruction. Comme Picasso à qui l’on reprochait de détruire l’image humaine et qui a répondu : “ Non, j‘en construis une autre “
Chaque œuvre de Max Wechsler travaille à cette reconquête et développe son présent issu de l‘éclatement du passé.
„Le passé a un long avenir! ́“ 2012
Prof. Dr. Anne –Marie Bonnet, Institut für Kunstgeschichte der Universität. Bonn. Allemagne.
Traduction de Monique Rival / revue par Christine Fleurent-Wechsler