MAURICE BENHAMOU
Quatre peintres de la couleur tensive
L'œuvre tout entière de Max Wechsler semble avoir pour objet la confrontation entre le vide et la lettre. La lettre sans déterminations, la lettre illimitée considérée dans le mystère et le rayonnement de son existence nue.
Parlant de l'écrit, un kabbaliste du XIIIème siècle, Isaac L'Aveugle, semble décrire les tableaux de Max Wechsler : "Les couleurs montent et s'étendent sur les configurations du blanc comme la lumière sur le charbon."
La technique est subtile. La colle dont use le peintre en larges épandages pour maroufler fragments écrits et fragments de blanc ne vient pas sous le papier mais au-dessus. Elle devient alors un élément plastique essentiel de l'œuvre.
Outre la fonction de coller qui donne à sa présence toute sa légitimité, la colle crée une surface résineuse et dure, légèrement répulsive qui, luttant contre la douceur enveloppante de la lettre qui roule dans le blanc, donne à l'ensemble sa force mais aussi sa complexité.
Cette transparence dure favorise l'éclosion de couleurs immatérielles.
Bleu (blanc, rose) du ciel. Nous voyons littéralement l'invisible.
Dans les tableaux de Max Wechsler également; au cœur du blanc, des bleus de toutes nuances, des roses, des jaunes, et même des verts nés de la tension des lettres grises. C'est à cause de l'exiguïté du champ qu'ils ne sont pas perçus immédiatement comme il en va pour le ciel. Sans doute aussi faut-il du temps et un désir résolu pour voir vraiment ce que nous voyons. Il ya un dévoilement progressif de la sensation. Mais c'est avec la couleur tensive, la couleur sans matière et purement qualitative qu'il apparaît le plus clairement qu'elle est un chemin.
Effet Tyndall. La lumière se diffuse par les particules de la suspension colloïadale. Les irisations à peine colorées sont différentes selon la lumière de l'heure mais surtout selon qu'elles sont vues par transparence ou par réflexion. Or nécessairement, dans un même tableau, elles le sont sans cesse selon ces deux modes.
Mais en dehors de ces couleurs de surface, chaque tableau possède une tonalité indéfinissable plus profonde qui apparaît lorsqu'on le considère longtemps ou bien immédiatement lorsqu'on le met en rapport avec un autre tableau de la série. Stable en toute circonstances, cette tonalité trouve son origine dans la nature du support de marouflage (lin, coton, contreplaqué naturellement rose ou panneau peint) qui agit de façon infime et d'ailleurs plus comme rayonnement que comme tonalité.
Ainsi deux lumières. L'une au-delà de le lettre, l'autre en-deça. L'une issue de l'air se matérialise au cœur de la transparence, l'autre montant de la matière et contenue par le recouvrement, devient subtile en traversant l'obscur
Maurice Benhamou - Extraits de " Quatre peintres de la couleur tensive " - Edition Espace-Abstraction, 1997.